« Les chrétiens d’origine juive dans l’antiquité », c’est le titre d’un ouvrage de Simon Claude Mimouni[1], spécialiste reconnu des origines du christianisme et qui a par ailleurs le bon gout d’être français (sans chauvinisme aucun, ça le rend quand même plus facile à lire). Son ouvrage de 2004 est une excellente synthèse des connaissances historiques qui devraient être considérées aujourd’hui comme acquises[2]. Le vaste domaine (si si) de ce que l’on appelle encore le judéo-christianisme est ainsi débroussaillé, éclairci, ciselé, en fonction de l’ensemble des sources dont nous pouvons disposer : du Nouveau Testament aux sources rabbiniques, en passant par divers manuscrits extra-bibliques, de courants dissidents, ou encore des Pères de l’Eglise.
Simon Claude Mimouni préfère parler de chrétiens d’origine juive plutôt que de judéo-chrétiens et s’en explique : le christianisme naissant est à l’origine un courant interne au judaïsme qui s’est construit dans une dynamique de distinction, de séparation progressive. Et cela, même s’il a subsisté longtemps des « chrétiens » fidèles à la circoncision et continuant de fréquenter les synagogues. Notons que ce n’est pas le rôle de l’historien de porter un jugement sur ce fait, mais de le décrire et de l’expliquer au mieux. Et une des premières étapes de cette compréhension, est de saisir l’événement comme un processus long, dynamique, progressif.
Cette dynamique de séparation est importante à comprendre. D’abord, il faut se sortir de la tête ce contexte fantasmé, sur les deux premiers siècles de notre ère, d’un judaïsme monolithique – et donc aussi évacuer d’emblée l’idée d’un christianisme monolithique. Les « différences de chapelles » que nous connaissons aujourd’hui dans le christianisme sont quelque chose qui a existé dès les premières décennies après la résurrection. Un judaïsme pluriel donc, qui implique une certaine autonomie des synagogues dans leurs rapports locaux avec les croyants en Jésus, et donc des variantes dans l’accueil ou le rejet de ces derniers. Mais un judaïsme pluriel qui implique aussi une origine plurielle du christianisme, et donc une diversité des expressions de la foi et de la pratique religieuse dans l’Eglise naissante.
Ensuite, et c’est extrêmement important à saisir, les fidèles de Jésus ne se sont pas fait claquer la porte au nez des synagogues, ou jeter et lyncher en place publique par les juifs. La séparation, là où elle a été la plus brutale et la plus directe, s’est néanmoins faite à l’initiative de la synagogue, mais par le biais de la liturgie. Ce fut le rôle de la fameuse Birkat haMinim, la Bénédiction des Hérétiques [3], introduite dès le premier siècle dans la prière des 18 bénédictions qui était dite quotidiennement par la communauté. Cette bénédiction était le lieu d’imprécations contre les hérétiques, et dès la fin du Ier siècle, contre les nosrim (nazoréens) inclus, à savoir – pour ce qu’on en sait – les disciples de Jésus. Il devenait donc difficile pour ces derniers de participer à la prière de la communauté en se maudissant eux-mêmes. La séparation s’est ainsi faite, d’une certaine manière, selon un processus d’auto-exclusion (processus que nous connaissons assez bien dans l’Eglise aujourd’hui, et qui pose la douloureuse question pastorale des divorcés-remariés ou des personnes en couple avec une personne de même sexe, par exemple).
Pour autant qu’il soit possible de nommer les chrétiens d’origine juive du Ier siècle, il parait juste de parler du mouvement nazoréen. Mais il apparait aussi que ce nom serait celui donné à la communauté des disciples de Jésus par ses détracteurs. Rien ne nous dit que les premiers chrétiens se seraient eux-mêmes désignés ainsi.
Par ailleurs, on peut suivre cette communauté de nazoréens jusqu’au IVème siècle, et suivre notamment les mentions qui en sont faites par les Pères de l’Eglise. A ceci prêt que dans les écrits patristiques, les nazoréens sont déjà, assez globalement, considérés comme des hérétiques. A ceux que l’on appelle alors aussi « les hébreux », principalement issus de l’église de Jérusalem et se réclamant de Jacques (le frère de Jésus), on fait reproche au minimum de continuer de vivre sous le joug de la Loi. Certains Pères, les confondant avec d’autres courants judéo-chrétiens, leurs reprocheront aussi de ne pas croire en la divinité de Jésus ou encore – ce qui va de paire – en sa naissance virginale. Mais si on s’en tient au courant nazoréen, tel qu’il s’inscrit dans la continuité de la communauté jacobienne (issue de Jacques) – et si on accepte cette continuité entre les nazoréens du Ier siècle et ceux que l’on désigne par ce nom au IVème siècle – l’essentiel du reproche qui leur est fait et qui est à l’origine de leur marginalisation, est de rester fidèle à la circoncision et aux préceptes de la Torah. Le livre des Actes des Apôtres et l’épître aux Galates rendent assez bien compte de cette tension qui déjà prend corps dans ce qui semble une confrontation des courants pauliniens, pétriniens et jacobiens. Quoiqu’il en soit, après l’exclusion de la synagogue, il s’est opéré tout aussi progressivement une exclusion de « la Grande Eglise » devenue majoritairement composée de croyants issus du paganisme, marqués culturellement par un dégoût certain pour la circoncision et affranchis dès le départ du joug de la Loi puisque n’ayant jamais eu à s’y soumettre.
Le fait qu’il ait subsisté côte à côte deux Eglises, l’une de la circoncision, l’autre des nations, la première confiée à Pierre et la seconde à Paul (Ga 2,7-8), engage des problématiques de vie quotidienne et de vie spirituelle assez importante, en particulier pour ce qui concerne la vie de table. Tous chrétiens qu’ils étaient, les païens convertis au Christ restaient des païens et ne pouvaient donc pas aisément partager la table de juifs. On a trace de ce problème dans l’épitre aux Galates, dans laquelle Paul dit :
Mais quand Céphas vint à Antioche, je lui résistai en face, parce qu’il s’était donné tort. En effet, avant l’arrivée de certaines gens de l’entourage de Jacques, il prenait ses repas avec les païens ; mais quand ces gens arrivèrent, on le vit se dérober et se tenir à l’écart, par peur des circoncis. Et les autres Juifs l’imitèrent dans sa dissimulation, au point d’entraîner Barnabé lui-même à dissimuler avec eux. (Ga 2,11-13).
De fait, les deux communautés ne pouvaient que se fréquenter modérément, et en aucun cas fusionner. A partir de là, le calcul est simple, compte tenu du potentiel de la moisson parmi les nations, en comparaison au petit reste d’Israël : l’ampleur de la propagation de la foi au Christ parmi les nations a rapidement dépassé celle que pouvait représenter la conversion au Christ parmi les judéens, lesquels là encore s’auto-excluaient de cette grande Eglise des nations, du fait même de ne pas pouvoir frayer avec des païens. Cette auto-exclusion s’est alourdie plus tard des controverses et du rejet dont témoignent les Pères de l’Eglise : l’Eglise des nations pouvait de moins en moins s’accorder avec l’idée qu’il subsiste des chrétiens fidèles à la Torah, à mesure qu’elle se forgeait l’idée qu’elle était elle-même le Verus Israël (le véritable Israël). C’est tout cela qui contribua finalement à la disparition des chrétiens de la circoncision, dont nous perdons la trace définitivement autour du VIème siècle.
La disparition des nazoréens s’inscrit aussi dans le contexte très original de l’officialisation conjointe d’une orthodoxie au sein du judaïsme et du christianisme. Il est remarquable en effet qu’autour du IIème siècle, chrétiens et juifs aient commencé en parallèle à fixer une ligne exclusive quant à la pratique et à la doctrine religieuse, mais aussi de fixer chacun de leur côté un canon des Ecritures. Il est vraisemblable de considérer que ce processus parallèle se soit appuyé sur l’opposition entre ceux qui croyaient en la messianité de Jésus et les autres. Mais entre en ligne de compte aussi la destruction du Temple en 70, et la dispersion des juifs comme des chrétiens, agent commun des deux courants qui a pu conduire à ce même besoin de définir leur orthodoxie.
Pour revenir à l’ouvrage de Simon Claude Mimouni, il est important de dire un mot d’autres rameaux issus du judéo-christianisme des origines. Simon Claude Mimouni distingue ainsi les ébionites, qui comme les nazoréens restent fidèles à la circoncision et à la Torah, mais ne croient pas en la divinité de Jésus. Ils voient en lui un prophète, il faudrait même dire le Vrai Prophète (celui annoncé dans le Deutéronome, le prophète « comme Moïse ») et sont marqués par un anti-paulinisme exacerbé. Ce courant semble posséder un texte sacré proche de l’évangile de Matthieu. On peut voir également dans ses origines une certaine tendance au gnosticisme. Quant à l’origine du mouvement au sein du judaïsme, une autre particularité est qu’il serait issu d’un courant baptiste, opposant aux sacrifices du Temple (ou à l’idée des sacrifices après la destruction du Temple en 70), l’eau de la purification. Les courants baptistes semblent avoir eu une certaine activité au Ier siècle, comme on peut le voir avec Jean dans les évangiles, bien sûr, mais aussi avec le courant esséniens (auxquelles certains rattachent l’origine du mouvement nazoréen, le considérant ainsi comme un sous groupe de l’Eglise de la circoncision), et comme en témoigne nombre d’écrits retrouvés à Qumran. Simon Claude Mimouni évoque aussi la possibilité – discutée – que les premières communautés chrétiennes se soient elles-mêmes qualifiées d’ébionite, non en référence à un fondateur de communauté Ebion, comme ce sera le cas plus tard pour ce groupe dissident ne croyant pas en la divinité de Jésus, mais eut égard au fait que l’on pourrait traduire « ébionites » par » les pauvres » (selon une étymologie très vraisemblable). Quoiqu’il en soit, il est exclu de confondre la communauté de ces baptistes ne reconnaissant pas la divinité de Jésus, avec ceux que l’on appelait les nazoréens, et qui formaient en particulier l’Eglise de Jérusalem.
On peut dire un mot aussi des elkasaïtes, qui se démarquent en particulier par leur origine, issus de l’empire iranien (probablement évangélisés par Thomas sur sa route vers les Indes)[4]. Comme les nazoréens, ils semblent marqués par leur anti-paulinisme, et font référence à un fondateur nommé Elkasaï. Ceci dit, il me semble inutile d’en dire plus ici sur ces deux courants, les pages Wikipedia étant assez bien documentée sur eux, à partir justement du travail de Simon Claude Mimouni.
Pour finir, je voudrais le laisser conclure lui-même[5] :
La rupture que l’on a tenté d’éviter lors de l’Assemblée de Jérusalem – rapportée en Actes 15 – s’est en fin de compte produite, mais bien plus tard, à une date indéterminée comprise entre 135 et 180-200, fondamentalement pour des motifs culturels plus que doctrinaux : autrement dit des problèmes de pratiques plus que de croyances.
Pour ma part, j’ajouterais qu’il est difficile de ne pas voir dans ce drame celui de la séparation de deux frères, d’un Jacob et d’un Esaü, née de l’échec à vivre une double-appartenance, dans le contexte d’une institutionnalisation de la foi. A ce jour, il existe nombre de juifs reconnaissant en Jésus le Messie attendu, sans doute même reconnaissant en lui le Fils de Dieu, et qui étaient, jusqu’à il y a peu, contraints de renoncer à tout ce qui faisait leur identité et à quoi ils étaient attachés – pas seulement socialement, mais aussi spirituellement – ou à rejoindre les bancs d’une communauté chrétienne séparée de l’Eglise. L’Eglise de la circoncision qui s’est endormie dans l’absence il y a des siècles, imprimant une profonde blessure au nom même que se donne l’Eglise, d’être catholique – car elle ne peut être catholique, c’est-à-dire universelle, qu’autant qu’elle accueille en son sein à la fois Israël et les Nations, sans confusion des vocations – semble renaître en particulier depuis Vatican II, et c’est un miracle de toute beauté. Feu le cardinal Jean-Marie Aaron Lustiger, évoquant la situation après le concile Vatican II, disait
[6]: « Je dois, ici, vous confier une prière que j’ose à peine exprimer à haute voix, tant elle paraît audacieuse. […] Dans cette situation, une « Église », une Ecclesia ex circumcisione, ainsi que la désigne une mosaïque à Sainte-Sabine à Rome, devient à nouveau pensable… Cette Ecclesia ex circumcisione qui a évangélisé l’Ecclesia ex gentibus a été tirée de son très long sommeil… »
- [1] Simo Claude Mimouni, Les chrétiens d’origine juive dans l’antiquité, éd. Albin Michel, 2004
- [2] Surtout si j’en crois le nombre de pages Wikipedia sur les origines du christianisme qui citent et paraphrasent abondamment son livre
- [3] Birkat signifie bien « bénédiction », mais il serait plus cohérent de parler de Malédiction, en réalité.
- [4] A noter que les chercheurs sont partagés sur les origines de ce mouvement.
- [5] Les chrétiens d’origine juive dans l’antiquité, p. 234-235
- [6] Jean-Marie Aron Lustiger, La Promesse, Coll. « Essais de l’Ecole Cathédrale », Parole et Silence, 2002, p. 168.
Vous dites que l’on perd la trace des nazoréens vers le IVe siècle. Pourtant, il me semble que c’est ainsi qu’on désigne les fidèles du Christ en plusieurs endroits dans le Coran, ce qui laisse penser que l’islam naissant a été en contact avec certaines de ces communautés beaucoup plus tardivement que vous l’estimez. Un question de détail, sans doute, qui n’enlève rien au grand intérêt que j’ai eu à lire cet article à la fois savant et accessible. Au plaisir de vous lire. Bonne journée.
En fait j’indique le VIème siècle et non le IVème dans l’article. Je revérifiais, et Mimouni parle de « assurément après le Vème siècle » (autrement dit pas avant), mais en nuançant tout de même ce que je dis ici, qui peut prêter à confusion : on en perd la trace comme communauté à part de la Grande Eglise.
Merci, et bonne journée à vous de même.
Bonjour Pneumatis,
merci pour cette remise en perspective du christianisme des premiers temps. C’est vrai que s’il y a eu rupture « pour des motifs culturels plus que doctrinaux : autrement dit des problèmes de pratiques plus que de croyances », c’est dommage. Mais y a-t-il eu effectivement rupture ? Je n’ai pas souvenir qu’aucun dogme interdise la circoncision, ni ne recommande de jeter la Torah aux orties ? J’ai plutôt le sentiment qu’il y a eu renoncement progressif…
Je me pose toujours la question quand on semble regretter la circoncision. Personnellement, ça ne me gêne pas que des gens la choisissent, ça les regarde. Je suis un peu plus gêné qu’on l’impose à des bébés ou des jeunes, j’ai du mal à croire que cette opération soit sans conséquences physiologiques et psychologiques. Mais surtout je ne vois pas franchement l’intérêt de la chose en soi ! c’est quand même une atteinte à notre intégrité corporelle. Peut-être aurez-vous des arguments à me proposer ?
Bonjour Anon,
Au premier rassemblement de Jérusalem, il est proclamé solennellement que les païens qui ont reçu la foi au Christ ne doivent pas se voir imposer la circoncision. Mais cela ne concernait que les païens convertis au Christ. C’est ainsi que se sont construites parallèlement deux églises, l’une de la circoncision et l’autre des nations. C’est le premier point.
Plus tard, on trouve chez les Pères de l’Eglise une très grande virulence à l’égard des chrétiens qui « judaïsent », c’est-à-dire qui continuent de circoncire leurs enfants, de célébrer le Shabbat, d’aller à la synagogue, etc. Le plus exemplaire en la matière, c’est le traité « Contre les juifs » de Jean Chrysostome, saint et docteur de l’Eglise. Mais c’est une vision assez globalement répandue dans la chrétienté, pour ce que nous en disent les sources.
Que s’est-il passé entre les deux ? C’est ce qu’on essaie de décrire tant bien que mal, ce processus de marginalisation progressive… Pas évident. Je me demandais même si, dans la disparition lente de l’Eglise de la circoncision, la pratique du célibat (sacerdotal) n’avait pas pu jouer un certain rôle (pas d’enfants = pas de nouveaux circoncis).
Quant à l’intérêt de la circoncision, on pourrait écrire des livres entiers à y réfléchir. Pour résumer trop simplement, c’est un signe d’alliance (sacramentel donc, en un sens) avec Dieu. Il a un très clair rapport au sens de la filiation, de l’union intime avec Dieu. Comme pour la plupart des signes, il a un caractère métonymique, c’est-à-dire qu’en retirant un bout de peau et en versant un peu de sang, on signifie que c’est toute sa vie que l’on donne pour se dépouiller du vieil homme, afin d’entrer dans l’union intime (et féconde) avec Dieu. Le fait que ce signe se porte sur le sexe (masculin exclusivement) incarne plus spécifiquement le rapport intime de Dieu avec l’homme, Dieu qui se fait Père (et choisi Abraham pour incarner cette fonction), qui féconde amoureusement l’humanité dans une intimité renouvelée (avec un bout de peau en moins, le rapport charnel se fait plus « intime »).
Tout cela nous amène légitimement à considérer que le baptême est un accomplissement de la circoncision, nous faisant plonger via l’Incarnation dans la mort et la résurrection du Christ. Mais c’est aussi une déduction anachronique, car nous ne pourrions pas dire que le baptême dans la mort et la résurrection du Christ, ni que l’Incarnation du Fils de Dieu, accomplissent totalement le rite de la circoncision, si n’existait pas ce rite de la circoncision. Les deux s’enrichissent donc mutuellement de leurs sens respectifs, marquant la progression (pédagogique) dans l’accomplissement des promesses faites par Dieu.
Voilà, je ne sais pas si c’est très clair 🙂
oui, non ^^
j’accepte la dimension sacramentelle pour ceux à qui le signe parle. J’ai plus de mal avec le fait que ce signe porte atteinte à l’intégrité corporelle (les sacrements chrétiens ne font rien de tel), d’autant que cette atteinte est le plus souvent imposée sans le consentement responsable de celui qui en est l’objet. Ceci, pour le côté choix individuel.
Maintenant, pour l’aspect institutionnel, j’ai tendance à penser que la circoncision a plutôt été à l’origine un état de fait, pour raisons tribales, et/ou hygiéniques (?), qui a été ensuite intégré dans la mémoire juive sous forme de commandement reçu par Abraham, plutôt que l’inverse… ce qui me semble justifier pleinement la position paulinienne de ne pas l’imposer aux nations.
Donc, que des chrétiens souhaitent se faire circoncire, pourquoi pas ? si cela les aide à se donner à Dieu. Je suppose que c’est votre cas, ou que vous y songez fortement, pour y revenir si souvent, non ? Ou peut-être est-ce moi qui ai un problème avec tout ce qui est agression corporelle, pour réagir aussi épidermiquement ?
Non je ne songe pas à la circoncision à titre personnel, ni pour mes enfants. Je suis pleinement de « l’Eglise des nations », en ce qui me concerne.
Après pour l’origine même du rite, oui la circoncision n’est pas, et n’a sans doute pas été au départ une exclusivité juive (résolument cultuelles, par contre, l’interprétation hygiéniste étant une relecture contemporaine). Ce qui en revanche est une particularité intéressante et remarquable, c’est que dans la tradition juive, on doit procéder à ce rite au huitième jour de la naissance. C’est très intéressant, quand y réfléchit.
« J’ai plus de mal avec le fait que ce signe porte atteinte à l’intégrité corporelle (les sacrements chrétiens ne font rien de tel) »
Et bien je vais vous dire : c’est bien par rapport à ça que la pédagogie divine est nécessaire. Les sacrements chrétiens concernent plus que tout l’intégrité corporelle, précisément. J’entends bien votre propos. Mais justement, c’est bien pour nous éviter d’être trompés par cette « apparence » concernant les sacrements (qui engagent en réalité notre « intégrité corporelle » jusque dans la destinée éternelle du corps) qu’il existe des signes préalables comme la circoncision.
Hummm ! peut-on reléguer le judaïsme à une étape préliminaire de la « pédagogie divine », ramener la circoncision à un « signe préalable » sacramentel ?
Je suis personnellement plus attaché aux pratiques sacramentelles du christianisme des nations qu’à celles du judaïsme (ou d’un christianisme juif qui aurait survécu, ou que certains ressusciteraient) simplement parce que c’est dans cette religion que j’ai grandi. Mais c’est tout. Je ne crois pas qu’aucun sacrement, même chrétien, fasse quoi que ce soit sans nous. Dieu donne sans conditions et sans limites, les sacrements sont un moyen pour apprendre à recevoir, mais je me garderais bien de juger lesquels seraient les meilleurs dans l’absolu à ce sujet.
Je me trompe ou vous décrivez un judaïsme comme une sorte de première marche vers le christianisme ?
« Je me trompe ou vous décrivez un judaïsme comme une sorte de première marche vers le christianisme ? »
Non je ne le considère pas comme ça : on n’est pas tenu d’établir une hiérarchie entre un type, un antitype, un archétype et un prototype, si vous voulez : ils participent tous du réel qui se forme par eux. Le fait que je considère qu’en Jésus tout soit « accompli » ne relèguent pas ce qui précède à un rang inférieur, intermédiaire, etc. La métaphore de l’escalier que vous utilisez pourrait être bonne, si elle n’impliquait pas ce sous-entendu qu’on y monte et que l’objectif est d’arriver en haut (autrement dit de se considérer « extérieur » à l’escalier). En revanche, si on tient que la dernière marche n’est là que parce que toutes les autres la porte, et que c’est toutes ensembles qu’elles forme un escalier, alors il commence à y avoir de ça.
On pourrait prendre une autre métaphore, et considérer que la dernière goutte d’eau que l’on met dans le verre ne rend pas caduques ou moins importantes toutes celles qui l’ont précédée. Mais la métaphore serait encore biaisée, car avec l’eau, toutes les gouttes se mélangent 🙂
Bref, il se trouve que la Révélation de Dieu s’inscrit dans l’histoire, que cette histoire est ordonnée à une dynamique qu’on appelle le Temps, et que si « spirituellement » il n’y a pas d’avant et pas d’après dans la Révélation (je me permets de paraphraser ici la formule rabbinique sur la Torah), il y a un avant et un après dans l’Histoire, et que cet « ordre » signifie lui-même un ordre spirituel, une logique au sens vraiment propre du terme, dans la Révélation de Dieu à l’Homme. Pour le comprendre on doit renoncer à supposer qu’une personne puisse réaliser l’idéal de l’homme dans son processus de divinisation, d’union parfaite à Dieu. Cet idéal est pluriel et il ne faut pas moins que toute l’Histoire sainte d’Adam à Jésus pour l’incarner.
Ah ! me voici rassuré 🙂
J’ajouterai juste à « toute l’Histoire sainte d’Adam à Jésus » qu’elle passe aussi par Gautama, Lao-Tseu, et de nombreux autres. Je cite ces deux-là, parce que je les connais mieux, et que, pour eux, je sais qu’ils ont aussi participé à cette « réalisation de l’homme dans son processus de divinisation ».
Resterait à discuter si Jésus peut être considéré comme le sommet unique et à jamais inégalable de cette histoire, mais nous garderons peut-être ça pour une autre fois ?
Bien que l’exégèse du Coran en soit à ses débuts il semblerait que la présence de « Judéo-Chrétiens » (je ne sais pas comment les appeler autrement) parmi les tribus juives de Messine ait exercé une influence certaine sur la formalisation de la pensée de Mohammed. Notamment sur l’interprétation de la mort de Jésus au Golgotha : pour les Musulmans Dieu a substitué son fils avant sa mort car les hommes se sont révélés incapables de le reconnaître. Toujours d’après le Coran, quelques siècles plus tard, Dieu a envoyé le Prophète qui, lui, a pu accomplir la promesse faite à Abraham. Cette interprétation de la mort de Jésus, qui se retrouve dans d’autres documents non musulmans, ne pourrait-elle laisser penser que parmi les « adeptes de Jésus » continuant à fréquenter la synagogue cinq siècle plus tard, certains aient pu préparer les esprits à l’arrivée de l’islam et, par la suite, aient disparus en se fondant dans l’Islam et en lui apportant leur richesse spirituelle? Ce qui ferait de la religion musulmane l’une des héritières de la diversité chrétienne du début de notre ère.
A noter que cette année, Simon Claude Mimouni vient de publier un excellent ouvrage, très complet, qui reprend et synthétise une grosse partie de ses recherches : Jacques le juste, frère de Jésus de Nazareth et l’histoire de la communauté nazoréenne/chrétienne de Jérusalem du Ier au IVe siècle, chez Bayard.