Le Pasteur d’Hermas (Vis. II 2 ; Précepte IV 3 ; Sim. IX 33[1])
L’expansion rapide dans l’empire romain des premières communautés chrétiennes s’est fondée sur la foi au Christ Jésus, Fils de Dieu, et en particulier sur la conviction de l’imminence de son retour (παρουσία) comme horizon de la consommation (συντέλεια) des temps (cf. Mt 24,3 notamment). Près d’un siècle après la croix et la résurrection, ces églises, qui ont commencé de subir de graves persécutions, n’ont toujours pas vu le retour du Christ. Nombreux sont les frères qui se sont « endormis » (1Th 4,15), mais nombreux aussi sont ceux qui, après le baptême par lequel les péchés sont remis, ont succombé de nouveau. Si, pour ceux-là, il ne devait plus y avoir aucun espoir de salut, et que leur seul horizon eschatologique dût être l’enfer, deux problèmes majeurs devaient se poser aux chrétiens : quel était alors, pour ces baptisés condamnés, le sens des jours restant à vivre d’ici à la fin des temps, sinon une perpétuelle tentation de s’adonner plus encore au péché ? Et comment, pour ceux des baptisés qui regrettaient leurs péchés et désiraient faire pénitence, expliquer que le Dieu de miséricorde ne puisse agréer leur sincère et authentique repentir, et ne les restaure parmi les élus ?
C’est notamment à ces questions que veut répondre l’apocalypse d’Hermas, intitulée Le Pasteur. Texte grec à l’origine, puis rapidement traduit en latin, il fut vraisemblablement rédigé dans la communauté de Rome dans la première moitié du IIème siècle de notre ère (vers 140). C’est un texte qui se caractérise d’abord par sa longueur, mais aussi par une construction très travaillée, très littéraire, et dont la théologie reste probablement marquée par une certaine forme de judaïsme sapientiel[2], et plus certainement par ses emprunts à la littérature hellénistique[3]. Si sa canonicité fit longtemps débat, il influença résolument nombre de Pères de l’Eglise et fut porté en haute estime par les communautés chrétiennes, comme en témoigne sa diffusion rapide et les nombreuses mentions dans les textes patristiques.
A travers un commentaire de trois extraits, courts mais néanmoins majeurs, de l’œuvre d’Hermas (ci-après, dans la traduction des Sources Chrétiennes[4]), à savoir Vis. II 2 ; Précepte IV 3 ; Sim. IX 33, je chercherai à mettre d’abord en évidence les situations de péchés des baptisés de Rome à l’époque d’Hermas pouvant mettre en cause leur salut, eut égard notamment au contexte historique. Puis je tenterai de préciser quelle doctrine pénitentielle s’élabore dans la révélation d’Hermas face à ces situations, pour enfin dégager le cadre spirituel justifiant cette apocalypse pénitentielle, à savoir l’actualisation de l’eschatologie de l’Eglise dans le présent de la vie de la communauté, source d’un renouvellement de l’espérance dans l’imminence de la venue du Fils de Dieu.
Les péchés des baptisés, dans Le Pasteur d’Hermas
Si Le Pasteur est tout entier centré sur la question de la pénitence, c’est que son auteur s’affronte, avec l’Eglise du début du IIème siècle, à cette douloureuse question du péché des baptisés, eux que l’on appelle encore couramment les « saints ». Il ne saurait évidemment être question ici de ce que nous pourrions appeler, anachroniquement, des péchés véniels, dans le sens de quelques insuffisances dans la mise en conformité de l’agir quotidien avec l’évangile que le jeûne et la prière devaient compenser autant que prévenir, mais de péchés graves, propres à remettre en question le salut d’ores et déjà acquis par le baptême. La question se pose donc de savoir de quels types de péchés il peut être question, et plus précisément d’évaluer si Hermas a déjà en tête la triade des péchés irrémissibles telle que la formulera Tertullien en interprétant (de façon un peu singulière) Ac 15,29[5], à savoir l’idolâtrie, le meurtre et l’adultère.
Pour ce qui est de l’adultère, ou plus exactement de l’impudicité (πορνεία), Le Pasteur y fait incontestablement référence, puisqu’outre le fait que l’ouvrage est précisément introduit par l’accusation d’un tel péché pour Hermas, en pensée du moins (Vis. I 1, 8), il est fait mention, dans les extraits qui nous concernent, de « la débauche » et des « ravages du vice » des fils d’Hermas (Vis. II 2, 2) qui désignent explicitement l’activité sexuelle peccamineuse[6]. Mais on notera aussi qu’au détour du commandement fait à Hermas de faire connaitre les paroles du livre qui lui a été remis, à ses enfants et à sa compagne, il est dit en passant que cette dernière lui serait désormais « une sœur » (Vis. II 2, 3), autrement dit qu’il n’aurait plus de relation charnelle avec elle. Or de telles relations ne sauraient entrer dans la catégorie de l’impudicité, la compagne d’Hermas étant a priori sa légitime épouse, peut-être celle-là même qu’il aurait trompé dans son cœur, en ayant de furtives mais néanmoins coupables vues sur Rhodè (Vis. I 1, 1-2). Si bien qu’on serait tenté de considérer que le cadre de l’impudicité serait finalement assez large chez Hermas, puisqu’elle ne laisserait comme seule alternative vertueuse en vue de la chasteté que la continence totale. Toutefois, il est vrai que la relation d’Hermas avec sa compagne, si elle est désormais orientée vers cette continence, n’est pour autant pas directement qualifiée de péché. Bien plus, ce qui semble exclure désormais du programme d’Hermas toute relation charnelle avec sa compagne, tiendrait plus à elle, en tant qu’elle est coupable de péché. Ce qui nous amène alors à considérer un autre type de péché.
Il est dit de la compagne d’Hermas qu’elle « ne domine pas sa langue : c’est par là qu’elle pèche » (Vis. II 2, 3). On pourrait voir ici une accusation de mensonge, de médisance ou de calomnie, voire de blasphème. Il est assez peu probable en tout cas qu’il soit juste question de simples « bavardages ». Surtout, on ne peut que mettre en relation cette mention de péché avec celle qui concerne les fils d’Hermas qui « se sont révoltés contre Dieu » et « ont blasphémé le nom du Seigneur » (Vis. II 2, 2). Ce faisant, et de même qu’en péchant par « sa langue », la compagne d’Hermas ne peut plus lui être une épouse, les fils d’Hermas en se révoltant contre Dieu, « ont trahi leurs parents », sur quoi le texte insiste d’ailleurs particulièrement. Ici la structure du texte est intéressante, car le commandement fait à Hermas au début du v. 3, « Fais connaitre ces paroles », est comme encadré en amont par la description du péché des fils, et en aval par la description du péché de la compagne. Et cette inclusion pourrait bien appuyer l’idée d’une analogie entre le péché des fils et le péché de la compagne, dans un lien entre (i) le péché par « la langue », (ii) le vice et (iii) la remise en cause des liens familiaux, faisant du premier la porte ouverte à tout le reste. En faisant une lecture allégorique du texte, on pourrait dire que le péché par la langue enfante la révolte et le blasphème, auxquels vient alors inévitablement s’ajouter l’impudicité.
Ceci dit, en amont de ce péché par « la langue », la « faiblesse des hommes » (Précepte IV 3, 4) prend sa source, comme l’indique d’ailleurs la première Vision, dans le cœur de l’homme, pour Hermas. Et d’ailleurs, pour ce qui est des fils d’Hermas, avant le blasphème, il y a la révolte contre Dieu. Cette forme de péché qui touche le cœur d’abord, avant que de se répandre ensuite éventuellement sous d’autres formes, on la retrouve un peu plus loin dans Vis. II 2, sous le terme d’ « hésitation » (Vis. II 2, 7). Et l’on comprend finalement ici de quoi il s’agit, dès lors qu’il est question immédiatement après, au même verset, de « grande épreuve », puis de renier ou non le Seigneur (v. 8) : si l’on opte pour une datation de l’ouvrage plutôt sous le règne d’Antonin (138-161), sans chercher ici à distinguer plusieurs époques d’écriture, et si la recherche historique indique pour cette période un climat plus « tranquille » pour les chrétiens, l’auteur ne peut a priori avoir oublié les persécutions récentes, en particulier celles sous Domitien, et plus proche encore de lui, sous Trajan. Si bien que le péché, selon Hermas, se résume ou se concentre en une chose : l’apostasie.
De là, nous pouvons voir que chez Hermas, du moins dans la partie étudiée, il est moins question d’une liste de péchés par catégorie, et qu’il y a donc bien loin à rejoindre la triade des péchés irrémissibles de Tertullien (qui ne sont de toute façon pas irrémissibles pour Hermas). Il s’agit bien plutôt de pointer où le péché prend sa source, dans le cœur de l’homme, pour ensuite se déployer sous d’autres formes, dans l’agir vicié du chrétien ainsi corrompu. Le cas biographique d’Hermas et des siens fourni d’ailleurs, de manière allégorique une forme de généalogie du péché. Mais, comme il faut néanmoins distinguer d’un côté les hésitations (de ceux qui subissent la persécution) et de l’autre la révolte (des fils d’Hermas), on pourrait finalement dissocier deux facettes de cette corruption du cœur, que d’ailleurs Dieu connait : « la faiblesse des hommes et les multiples intrigues du diable » (Précepte IV 3, 4). Pourtant, tout cela semble bien, pour Hermas, relever du péché en général, devant faire l’objet d’une même pénitence. Et de fait, l’un comme l’autre peuvent être rattachés au même fondement, à savoir le « retard » de la parousie et l’étiolement de l’espérance qui l’accompagne ; fondement auquel entend bien s’attaquer la révélation pénitentielle d’Hermas, en remettant à l’ordre du jour les fins dernières, dans une ultime indulgence divine pour les baptisés.
La doctrine pénitentielle d’Hermas
Il n’est nul besoin d’être un grand expert du texte pour deviner que la doctrine pénitentielle d’Hermas a fait l’objet de débat, non pas en elle-même, mais relativement aux pratiques en vigueur à son époque et à la continuité d’avec la doctrine apostolique. Le texte lui-même le donne à comprendre, quand il évoque « certains docteurs » (Précepte IV 3, 1) tenant d’une vision que l’on dira rigoriste, du salut. Pour ceux-là, on obtient par le baptême « le pardon de nos péchés antérieurs », et il ne peut être question d’aucune autre forme de pénitence, et a fortiori pas post-baptismale. En vertu de quoi, dans le lot des pécheurs, ceux qui n’ont pas encore reçu le baptême se trouveraient mieux logés que ceux qui l’ont reçu.
La révélation d’Hermas a ceci d’essentiel qu’elle introduit une nouvelle doctrine – du moins on doit la supposer nouvelle, sans quoi on voit mal pourquoi elle ferait l’objet d’une révélation céleste – à savoir la possibilité d’une, et une seule, pénitence post-baptismale. Précepte IV 3 traite de bout en bout de cette question, indiquant dans le détail que (i) ceux qui ne sont pas baptisés n’ont pas besoin de pénitence spéciale, car « ils ont l’absolution de leurs péchés antérieurs » (v. 3), (ii) Dieu a institué cette pénitence spéciale, révélée par Hermas, pour ceux qui ont été appelés avant cette révélation d’Hermas et « ces tous derniers jours » qu’elle introduit (v. 4) et (iii) qu’il n’y a qu’une et une seule pénitence, et qu’il n’y en aura pas d’autre (v. 6).
Si à cette révélation, Hermas qui se sait désormais pécheur, revient à la vie (v. 7), on est en droit de rester sceptique sur la résolution de la problématique du péché des baptisés et de leur salut. De fait, la solution au problème apportée par Hermas semble seulement repousser le problème au lendemain, pour ainsi dire. Mais c’est là sans tenir compte précisément du temps dans lequel Hermas inscrit sa révélation. Et c’est précisément par sa prétention apocalyptique que cette mesure pénitentielle va prendre tout son sens.
La pénitence initiatrice de la fin des temps
Cette pénitence post-baptismale revêt quelques caractéristiques qu’il faut souligner. D’abord, nous l’avons vu, elle est unique. Par ailleurs, elle s’inscrit dans « ces tous derniers jours » (Précepte IV 3, 4), autrement dit à la fin des temps. Or cette fin des temps commence, ou du moins connait une ultime étape avant consommation totale précisément au moment de cette révélation d’Hermas (ou faite à Hermas), dans laquelle il prophétise d’ailleurs « la grande épreuve » finale (Vis. II 2, 7). Le rejet de la vie concerne ainsi ceux qui renieront le Seigneur « dans les jours qui viennent » (Vis. II 2, 8), autrement dit, dès après cette révélation. A l’inverse, il est dit à Hermas « Quand tu auras fait connaitre ces paroles […] tous les péchés antérieurs leurs seront remis » (Vis. II 2, 4), et encore, au verset précédant, concernant sa compagne : « mais après avoir entendu ces paroles […] elle obtiendra miséricorde ». En outre, Hermas annonce pas moins que l’absolution des péchés pour les non baptisés, sans qu’il soit directement question de leur baptême, et bien sûr, sans leur donner prétexte à pécher (Précepte IV 3, 3) : c’est au présent que « à ceux qui croiront ou à ceux qui se mettent maintenant à croire au Seigneur » est donnée l’absolution des péchés, le temps de la révélation faite à Hermas devenant ainsi comme l’entrée dans un nouveau baptême, collectif autant qu’eschatologique, et dans lequel il n’y a plus de distinction entre ceux qui ont été déjà baptisés et ceux qui ne le sont pas encore. Ce passage est essentiel pour comprendre la dimension rien moins que jubilaire de l’annonce faite dans la révélation d’Hermas, laquelle pose d’ailleurs question en ce qu’elle relativise le baptême déjà reçu par les chrétiens d’alors. Enfin, et sur un registre plus moral, le texte dit, une fois la révélation quasiment achevée, dans ce qui est le dernier chapitre de l’avant-dernière Similitude : « Si donc vous croyez, si vous écoutez mes paroles, si vous marchez dans cette voie, si vous corrigez votre route, vous pourrez vivre » (Sim. IX 33, 1). Autrement dit, c’est bien cette révélation faite à Hermas, et qu’il est chargé de transmettre aux chefs de l’Eglise (Vis. II 2, 6) qui inaugure le temps de l’ultime pénitence, et avec elle, les derniers jours au terme desquels le Fils de Dieu doit venir. Ici Hermas se pose d’ailleurs, face aux chefs de l’Eglise, comme un de ceux que l’on désignait encore comme prophète, ayant autorité, celle de l’Esprit, sur les chefs de l’Eglise, jusqu’à pouvoir leur dire, à eux qui sont pourtant les gardiens de la communauté, « de marcher droit dans les voies de la justice » (Vis. II 2, 6) pour les exhorter, le cas échéant, à corriger leur conduite.
Et l’on voit là que cette pénitence des derniers jours n’est finalement pas tant pour épargner individuellement les baptisés repentis et leur racheter un salut, que pour accomplir ce qui doit advenir de l’Eglise, dont les baptisés sont les membres – ou plutôt les pierres ! Que ce soit avec l’image de la vieille femme donnant à Hermas le livre, et qui rajeunit du fait de la pénitence des baptisés, ou l’image de la tour dont les pierres étaient creusées des péchés des hommes (Sim. IX 33, 3), on voit que ce dont il s’agit par le don de cette pénitence ultime, c’est l’accomplissement de ce qui est annoncé pour l’Eglise, et qu’ainsi ses chefs pourront « recevoir pleinement, avec grande gloire, ce qui leur fut promis » (Vis. II 2, 6).
Conclusion
La dimension à la fois collective et coordonnée de la pénitence annoncée donne à ce texte sa pleine dimension apocalyptique. Nous l’avons vu en introduction, la propagation du péché parmi les baptisés doit en partie au fait que l’espérance de la communauté en l’imminence de la parousie, au temps d’Hermas, a fait long feu. Au contact du monde païen, les chrétiens se laisse séduire par l’idolâtrie, le vice, et les affaires païennes. Par ailleurs, Hermas sait bien que les dernières persécutions ont conduit des baptisés à apostasier, relativisant ainsi à l’échelle de l’Eglise, la gravité du péché (dès lors qu’il y en a un premier, le second est moins grave, et ainsi de suite). Dès lors, il n’y a pas loin à penser qu’il renverse le lien de cause à effet entre le retard de la parousie et le péché, et considère plutôt que c’est le péché des membres de l’Eglise qui retarde la parousie, et non l’inverse. De fait, pour que tout soit accompli, il faut que les pierres de la tour soient toutes bien polies. Ainsi, si l’on considère ce texte comme une authentique apocalypse, on doit alors conclure qu’elle hâte la fin des temps, rendant, par cette ultime et exceptionnelle pénitence, possible l’avènement des jours du Fils de Dieu. Mais on peut aussi remarquer, que sur le plan de l’œuvre purement littéraire, en introduisant cette pénitence en même temps que l’imminence de la fin des temps, comme par un processus d’actualisation de l’apocalyptique du NT, Hermas refonde l’espérance de sa communauté, lui donne un nouveau souffle et une raison de sortir de sa conduite mauvaise, pour redresser la barre, et vivre en pratiquant la justice, avec la vigueur, la persévérance et la piété des apôtres. Du seul fait, finalement, qu’il situe une pénitence possible à la fin des temps, et qu’il prophétise cette fin des temps dans l’ici et maintenant de la communauté, il rajeunit d’un seul coup son église, lui redonnant les vertus de sa jeunesse apostolique.
Vision II, 6. (2)
1 Après quinze jours de jeûne et beaucoup de prières au Seigneur, le sens du texte me fut révélé. Voici ce qui était écrit: 2 » Tes fils, Hermas, se sont révoltés contre Dieu, ils ont blasphémé le nom du Seigneur et ont trahi leurs parents avec beaucoup de malice, et ils se sont entendus appeler traîtres à leurs parents, et leur trahison ne leur profita pas, mais ils ajoutèrent encore à leurs péchés la débauche et les ravages du vice et ils ont ainsi mis le comble à leurs iniquités. 3 Fais connaître ces paroles à tous tes enfants et à ta compagne, qui, désormais, te sera une sœur. Car elle ne domine pas sa langue: c’est par là qu’elle pèche; mais après avoir entendu ces paroles, elle la dominera et obtiendra miséricorde. 4 Quand tu auras fait connaître ces paroles que le Maître m’a enjoint de te révéler, tous les péchés antérieurs leur seront remis ainsi qu’à tous les saints qui ont péché jusqu’à ce jour, s’ils se repentent du fond de leur cœur et en arrachent les hésitations. 5 Car le Maître l’a juré par sa gloire à propos des élus: si, après ce jour fixé, il se commet encore un péché, ils n’obtiendront plus le salut. Car, pour les justes, la pénitence a une limite, les jours de la pénitence seront révolus pour tous les saints; mais pour les gentils, la pénitence peut se faire jusqu’au dernier jour. 6 Tu diras donc aux chefs de l’Église de marcher droit dans les voies de la justice, pour recevoir pleinement, avec grande gloire, ce qui leur fut promis 7 Persévérez donc, vous qui pratiquez la justice, bannissez toute hésitation pour prendre place parmi les saints anges. Bienheureux, vous qui endurerez l’épreuve qui arrive, la grande épreuve, et tous ceux qui ne renieront pas leur vie ! 8 Car le Seigneur l’a juré par son Fils: ceux qui renieront le Seigneur seront rejetés de la vie, ceux du moins qui le renieront dans les jours qui viennent; car ceux qui l’ont renié antérieurement, dans sa grande miséricorde, le Seigneur leur est redevenu favorable.
Précepte IV, 31. (3)
1 « Seigneur, dis-je, j’ajouterai encore une question. – Parle, dit-il. – J’ai entendu certains docteurs dire qu’il n’y a pas d’autre pénitence que celle du jour où nous descendîmes dans l’eau et où nous reçûmes le pardon de nos péchés antérieurs. » 2 Il me dit: » Ce que tu as entendu est exact. Il en est ainsi. Celui qui a reçu le pardon de ses péchés ne devrait, en effet, plus pécher, mais demeurer en sainteté. 3 Mais puisqu’il te faut toutes les précisions, je t’indiquerai ceci aussi, sans donner prétexte de pécher à ceux qui croiront ou à ceux qui se mettent maintenant à croire au Seigneur, car les uns comme les autres n’ont pas à faire pénitence de leurs péchés: ils ont l’absolution de leurs péchés antérieurs. 4 C’est donc uniquement pour ceux qui ont été appelés avant ces tout derniers jours que le Seigneur a institué une pénitence. Car le Seigneur connaît les cœurs, et sachant tout d’avance, il a connu la faiblesse des hommes et les multiples intrigues du diable, qui fera du tort aux serviteurs de Dieu et exercera contre eux sa malice. 5 Dans sa grande miséricorde, le Seigneur s’est ému pour sa créature et a institué cette pénitence et il m’a accordé de la diriger. 6 Mais je te le dis, reprit-il: si, après cet appel important et solennel, quelqu’un, séduit par le diable, commet un péché, il dispose d’une seule pénitence; mais s’il pèche coup sur coup, même s’il se repent, la pénitence est inutile à un tel homme: il aura bien de la peine à jouir de la vie. » 7 Je lui dis: « Seigneur, je reviens à la vie après ces renseignements détaillés. Car je sais que si je n’ajoute plus à mes péchés, je serai sauvé. – Tu seras sauvé, dit-il, et tous ceux qui feront ainsi. »
Similitude IX, 110. (33)
1 « Tout ce qui est écrit ci-dessus, c’est moi, le Pasteur, l’Ange de la Pénitence, qui l’ai montré et exposé pour les serviteurs de Dieu. Si donc vous croyez, si vous écoutez mes paroles, si vous marchez dans cette voie, si vous corrigez votre route, vous pourrez vivre. Mais si vous vous obstinez dans la malice et le souvenir des offenses, personne de ce genre ne vivra pour Dieu. Tout ce que j’avais à dire vous a été dit. » 2 Le Pasteur me dit alors: » Tu m’as tout demandé? – Oui, Seigneur, dis-je. – Pourquoi ne m’as-tu rien demandé à propos de la forme des pierres placées dans la construction et que nous avons égalisées? – Je l’ai oublié, Seigneur, dis-je. 3 – Voici, dit-il, ce qui les concerne: ce sont ceux qui ont écouté mes préceptes et ont fait pénitence du fond de leur coeur. Le Seigneur a vu que leur pénitence était bonne et pure et qu’ils pouvaient y persévérer; c’est pourquoi il a fait effacer leurs péchés antérieurs. Les creux représentaient ces péchés et ils ont été comblés pour qu’ils n’apparussent plus. «
- [1] Pour les références textuelles, j’utiliserai la numérotation par chapitres plutôt que la numérotation en continue. Exemple : Sim. IX 33,1 (numérotation par chapitres) plutôt que Pasteur 110,1 (numérotation en continue).
- [2] Ce pourrait être le cas de cette théologie que l’on tend à dire « binitaire », et que l’on retrouve dans la vision de Dn 7, chère aux auteurs du NT d’ailleurs. Mais, pour tout dire, ce n’est là qu’une hypothèse de néophyte : je ne connais pas suffisamment le texte d’Hermas et ses emprunts pour affirmer quoique ce soit de ferme sur ce point.
- [3] Cf. M.-L. Chaieb, Cours d’introduction à la Patristique, Faculté de Théologie, UCO, Angers, 2015-2016.
- [4] Hermas, Le Pasteur, (trad. R. Joly, SC 53bis), éd. Cerf, Paris, 1958.
- [5] Tertullien, De pudicitia, 12,4.
- [6] Ces deux seules mentions rendent peu compte de l’érotisme qui transparait ailleurs, en creux des nombreuses allusions à la continence d’Hermas, et en particulier dans la mise à l’épreuve d’Hermas, jouant puis couchant au milieu de vierges dévêtues (Sim. IX 11, 3-8), comme d’ailleurs dans la scène initiale de « sortie de bain ».